Test : Fox 32 Float CTD 150 2013 | Post Mortem
Pour ce second article de la série Post-Mortem qui remonte le temps pour revenir sur du matos d’autrefois, je vous propose d’aller plus loin encore qu’à l’épisode précédent et nous pencher sur une série emblématique de l’innovation qui ne marche pas, l’évolution pensée à moitié, la simplification extrême qui mène droit dans le mur, le manque de dissociation des gammes et pratiques (époque maintenant bien révolue si l’on se réfère aux actuels pléthoriques lineups Fox et Rockshox) ou, peut-être, le syndrome d’une marque qui a un peu trop pris le retour de ses utilisateurs au pied de la lettre, ce qui, malheureusement, n’est pas toujours une bonne chose.
Fiche Technique
Il y a près de 8 ans, si le bas de gamme devait comme aujourd’hui faire avec un nombre de molettes réduit, la norme côté réglages était de proposer sur le haut de gamme le très classique schéma LSC/HSC/LSR/HSR, soit compression basse et haute vitesse ainsi que rebond basse et haute vitesse. En dévoilant pour le millésime 2013 son système CTD, la firme au renard entra dans une ère toujours d’actualité : celle du mode pré-réglé adapté au profil du terrain (en théorie tout du moins) qui permet de modifier le comportement des sa suspension d’un click.
Le système CTD repose alors sur trois modes : Climb, Trail et Descend. Le premier, comme son nom ne l’indique qu’à moitié, est davantage destiné aux montées sur bitume ou DFCI. Il utilise un réglage de compression très élevé pour quasiment bloquer la suspension, avec une blow-off valve pour gérer les gros impacts inopinés. C’est l’évolution direct du système pro-pedal que la marque met alors à la retraite.
Le second, Trail, est censé offrir un juste milieu avec un réglage en compression équilibré qui reste roulable tant en montée qu’en descente. Sur les modèles les plus haut de gamme, il est possible de régler ce mode via une molette “Trail Adjust” qui offre trois positions de compression différente. Il se destine sur le papier aux singles qui alternent entre montées et descentes, un type de terrain finalement fort commun pour une grosse partie des pratiquants.
Enfin, le mode Descend offre le moins de compression, laissant une suspension très, voir trop comme nous le verrons plus loin, active. Ce réglage doit, sur le papier encore une fois, permettre d’absorber au mieux le terrain en descente.
A cette nouvelle cartouche qui offre un mode de réglage alors nouveau s’ajoute une modification de la courbe d’amortissement sur les modèles qui proposent 130mm de débattement ou plus. Basé sur le feedback des utilisateurs des moutures précédentes et la volonté de se rapprocher du comportement d’un ressort hélicoïdal, Fox opte alors pour une courbe plus linéaire qui permet d’utiliser tout le débattement plus facilement.
A y réfléchir, le millésime 2013 est tous comptes faits un pivot majeur chez Fox et l’avant-garde d’une nouvelle époque. Il symbolise la transition vers des réglages simplifiés, le début de la sensibilisation à la courbe d’amortissement auprès d’un nombre accru de rideurs, qui se fera comme on va le voir pour le pire sur ce modèle avant d’être implémenté de main de maître par son concurrent Rockshox sur sa nouvelle Pike l’année suivante, ainsi que la transition vers bien plus de rigidité pour des débattements toujours plus importants.
En effet, il faudra attendre 2014 pour que Fox propose un châssis aux plongeurs de 34mm sur ses modèles 26″ à débattement moyen. Pour le millésime 2013, toutes les versions 26″ hors celles déclinées en 160mm doivent se contenter de plongeurs de 32mm. Comme nous allons le voir, ce simple point représente aujourd’hui un choc générationnel majeur et fait à lui seul prendre conscience du chemin parcouru en moins de dix ans sur des produits destinés à une même utilisation.
Sur le terrain
Si les suspensions VTT ont suivi une amélioration incrémentale d’année en année et nous ont habitué à placer la barre à une certaine hauteur, en 2013 les premiers tours de roue en sa compagnie faisaient de la Fox 32 un modèle de douceur. La première itération de la cartouche FIT CTD constituait sans nul doute une amélioration notable par rapport à ce que la marque californienne faisait précédemment.
“Il était de facto impossible d’être réglé correctement…”
Mais l’exultation des premiers tours de roues laissait place à un sentiment bien plus mitigé une fois que la fourche était poussée dans ses retranchements. Comme évoqué dans la partie fiche technique, après les plaintes récurrentes d’utilisateurs sur les anciens modèles jugés trop difficiles à pousser en bout de course, la marque américaine avait volontairement affublé sa nouvelle 32 d’une courbe d’amortissement très linéaire. Ce point, peut-être bénéfique sur les débattements destinés aux cross-country, est toutefois vite devenu très problématique pour les modèles à débattement intermédiaire destinés à l’all-mountain. Il était de facto impossible d’être réglé correctement sur un modèle comme la 150mm pour une utilisation un minimum engagée.
La source de cet échec est double. D’un côté, cette courbe d’amortissement peu adaptée aux pratiques engagées fournissait trop peu de support en milieu de débattement et talonnait bien trop rapidement quand on adoptait un sag standard. Certes, le confort d’utilisation sur le plat et les faibles pentes était phénoménal, mais ce parti pris obligeait celles et ceux qui engageaient davantage à rouler avec des pressions bien plus importantes, qui venaient totalement gommer ce confort.
D’un autre côté, la cartouche CTD, déclinée tant sur les modèles 32 que 34mm, qui retirait des mains du rideur les réglages habituels pour les substituer par des modes pré-réglés était une excellente idée. Si vous lisez Glisse Alpine régulièrement, vous savez que je n’y souscris pas et que je préfère une approche comme celle que Fox adopte maintenant sur ses modèles haut de gamme comme le Fox X2 ou ses fourches dotées de la cartouche Grip 2, mais c’est une vision qui permet de manière globale à une majorité de rideurs d’être mieux réglés qu’avant tant qu’elle est implémentée de manière correcte. En 2012, la marque n’avait cependant pas encore le recul qu’ont actuellement les concepteurs de suspensions sur le marché du VTT pour sortir un produit performant à la sortie du carton.
Comme la nouvelle courbe d’amortissement, le système CTD dans sa première version était un désastre sur le segment destiné à des pratiques un peu engagées. La même philosophie qui régissait cette courbe d’amortissement destinée avant tout à des pratiques raisonnées venait mettre des bâtons dans les roues de celui qui s’aventurait sur des pentes un peu trop fortes, sur des terrains un peu exigeants.
“Le mode Descend était davantage un mode Demo.”
Le mode Descend était davantage un mode Demo, qui s’il conférait une souplesse remarquable sur le plat était inutilisable dans le pentu. La fourche n’avait dans ce mode aucun maintient, plongeait exagérément tant au freinage que par le seul effet de la pente sur l’avant du vélo, et était de fait mis au placard au profit du mode Trail.
Le mode Trail, avec ses réglages en compression plus conservateurs, permettait de garder un comportement presque correct, à défaut d’être vraiment qualifiable de bon, dans le pentu. Bien sûr, cet avantage était obtenu au détriment du confort et il fallait se résoudre à rouler une fourche moins souple que ce que les améliorations ultérieures réussiront à faire.
De fait, il était courant de rouler la fourche en mode Descend à la montée ou sur le plat afin de bénéficier de sa souplesse et d’une certaine facilité à franchir les petits obstacles qui peuvent faire perdre en inertie, et en mode Trail en descente afin d’avoir un minimum de maintien.
Tout n’était cependant pas perdu sur le front de la courbe d’amortissement. Si les cales dans la partie air n’étaient pas encore à l’ordre du jour, il n’était pas pour autant impossible de réduire le volume de celle-ci, et bien vite les 5ml de Float Fluid réglementaires se virent chez beaucoup de rideurs avisés remplacés par 25 ou 30ml afin de rajouter un peu de progressivité. Les possesseurs de Talas, la version avec débattement réglable, pouvaient malheureusement oublier ce hack à cause d’un ressort négatif à air sur ce modèle. En revanche, les Float et leur ressort hélicoïdal possédant une partie air hermétique, le hack fonctionnait à merveille.
“Quelques giclettes d’huile n’ont pas révolutionné les performances de ce modèle.”
Bien sûr, quelques giclettes d’huile n’ont pas révolutionné les performances de ce modèle qui a toujours manqué de compression. Mais plus de progressivité dans la courbe d’amortissement permettait de sensiblement réduire les pressions pour retrouver la souplesse du mode Descend avec le maintient et la résistance au talonnage du mode Trail. Ce qui était à l’époque et au vu des performances stock de ces modèles, déjà un grand pas dans la bonne direction.
Ce problème majeur mis de côté, on ne peut évidemment faire l’impasse sur le manque de rigidité général de cette fourche qui dans ses grands débattements était absolument abominable. Bien sûr, c’est au fil des années et de la rigidification massive de produits déclinés jusqu’à des pratiques proches du cross-country que ce phénomène saute le plus aux yeux, mais déjà à l’époque le flex de la 32 était un problème majeur sur des montures vouées à une pratique qui se rapprochait d’autres équipées en 36mm.
La cause de ce ressenti se situe peut-être dans l’émergence rapide de cette catégorie de vélos intermédiaires qui ont en quelques années franchi le fossé séparant XC et Freeride, laissant les fabricants dans le doute quant à la meilleure façon de structurer leur offre pour qu’elle corresponde au mieux à ces nouvelles pratiques.
La 32 n’aurait jamais du être déclinée en 150mm, ni même en 140mm. Cette combinaison malheureuse de diamètre de plongeurs et de débattement créa ce qui est universellement désigné comme une fourche spaghetti, dont le flex est instantanément perceptible à la moindre charge un peu poussée.
“S’il y a en revanche un point sur lequel ce modèle, le miens tout du moins, brille, c’est sa fiabilité.”
S’il y a en revanche un point sur lequel ce modèle, le miens tout du moins, brille, c’est sa fiabilité. On peut le voir comme la fable du chêne et du roseau et penser qu’avec tant de flex la 32 était un bon candidat pour souvent plier mais ne jamais rompre, ou se dire que j’ai eu autant de chance avec ce modèle que de malchance avec ma Boxxer. Une partie des modèles de ce millésime a d’ailleurs fait l’objet d’un rappel pour la simple et bonne raison que les fourreaux étaient susceptibles de se désolidariser complètement des plongeurs à cause d’un problème sur la cartouche, rien que ça. Une excellente occasion d’ailleurs d’échanger sa fourche 2013 pour un modèle 2014 avec la cartouche CTD déjà bien mieux réglée, occasion manquée pour ma part, mon exemplaire ne faisant pas partie du lot concerné.
Bref, ce point mis de côté, ma Float 32 a encaissé des milliers de kilomètres dans la boue (celle que l’on attaque en pneus de 2.10 pour espérer trouver un peu d’accroche au fond), des dizaines et des dizaines de runs de DH, s’est contenté d’un entretien extrêmement léger pendant une bonne partie de sa vie, et n’avait lors de sa mise à la retraite six ans plus tard pas subit le moindre changement de joints racleurs ou d’entretien sur la cartouche en elle-même.
Et pourtant, après avoir été négligée pendant tant d’années, ma vaillante 32 a toujours opéré de manière satisfaisante pour offrir le peu de performances (du moins comparé à des modèles plus contemporains) dont elle était capable. Je n’ai jamais retrouvé l’anodisation des plongeurs au fond des fourreaux ou une épaisse couche de poussière sous les joints racleurs (suivez mon regard), bien qu’après six ans de bons et loyaux services ces derniers étaient clairement au bout de leur vie. La sensibilité aux petits chocs n’était certes pas au niveau d’une paire de joints neufs glissant avec aisance sur un revêtement Kashima, mais avec des vidanges régulières permettant de garder un minimum d’huile pour travailler ils ne sont jamais devenu un point notable de dégradation du confort ou de la performance.
Verdict
La Fox 32 2013 possède une double personnalité. Il y a le côté pile, où elle s’avère pour l’époque d’une souplesse redoutable lors d’une utilisation très raisonnée. Et il y a le côté face, où elle s’écroule totalement quand on commence à la pousser dans ses retranchements, qui sont rapidement atteints.
J’ai toujours pensé que Fox avait créé un modèle destiné au cross-country avant de le décliner en débattements justifiés pour le trail et l’all-mountain. Si les modèles aux débattements modérés sont acceptables, à partir de 140mm le manque de rigidité et de résistance à la compression devient réellement problématique. Ces défauts ont été corrigés avec le temps, d’une part via l’évolution de la cartouche FIT, d’autre part en reléguant les plongeurs de 32mm à une utilisation purement destinée au XC.
Cette fourche occupe à titre personnel une place importante dans mon cœur de vététiste. C’est un peu pour moi le symbole de l’anti course à l’armement, l’égérie du “just ride your bike”, un modèle qui malgré ses piètres capacités m’a emmené sur tous les sommets sans faillir à une époque de ma vie où l’upgrade aurait été pour moi un centre de coût important difficilement justifiable.
Quoi qu’il en soit, cette relique est emblématique d’une époque révolue. Un temps où l’on prenait son cadre une taille en dessous pour avoir une machine fun qui se pliait en quatre sans effort et où la rigidité n’était pas devenu la quête ultime. Un temps où l’on mettait peut-être un peu moins le matériel sur un piédestal dictant les capacités du bonhomme à franchir un terrain donné. Mais si j’ai déjà affiché ça et là ma perspicacité face à des machines toujours plus rigide, le passage d’un VTT moderne à un modèle de cette époque équipé d’une telle fourche est en tous cas un bon moyen de se rappeler que non, ce n’était pas mieux avant.
Bref, si vous cherchez une vieille fourche pour quelques roubles, passez votre chemin, si ce n’est pour aller chercher le pain ou l’encadrer dans votre salon. La plupart des modèles avec une ou deux rides de moins ont toujours un pied dans le présent et font beaucoup, beaucoup mieux.
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« Quoi qu’il en soit, cette relique est emblématique d’une époque révolue. Un temps où l’on prenait son cadre une taille en dessous pour avoir une machine fun qui se pliait en quatre sans effort et où la rigidité n’était pas devenu la quête ultime. Un temps où l’on mettait peut-être un peu moins le matériel sur un piédestal dictant les capacités du bonhomme à franchir un terrain donné. »
Quelle plume! 🙂 j’ai une fox 34 en 160 avec le fameux systeme CTD de 2014, c’est pas ouf mais pas aussi pire que la tienne on dirait haha!
J’ai pensé a toi suite à ta conclusion car la nouvelle SID a desormais des plongeurs de 35mm, bordel du xc à 35mm!! C’est ouf, bientôt les lyrik d’aujourd’hui seront des fourches de promenade.
Salut Pierre,
En 2014 Fox a en effet retuné le CTD : c’était pas la panacée mais clairement un pas dans la bonne direction.
Pour l’augmentation des diamètres de plongeurs, c’est dans l’ère du temps. Les départements marketing poussent à toujours plus gros parce que c’est plus vendeur, que ce soit côté plongeurs, pivots ou autre. La situation est un peu cocasse quand même chez SRAM quand tu penses que leur fourche de DH utilise les mêmes plongeurs que leur modèle XC…
Après ce n’est qu’une déclinaison de la SID (la série classique en 120mm) qui passe à 35mm, la SID SL 100mm (certes assez spécifique) reste en 32mm. Fox fait déjà des 34 en 120mm donc difficile de leur jeter la pierre… 😉
Ah la fameuse 32 Spaghetti !
Mais comme tu dis, elle t’aura amené partout.
Et moi qui était tout content d’en avoir trouvé une à 80 € Pour remplacer ma Talas hors d’usage …
Bonjour,
Que pensez-vous de sa rigidité en 100mm, c’est aussi une nouille ? ou bien ca va quand même?
Je me tâte à en mettre une sur un dirt pour faire un montage très léger pour rouler en race (que des sauts propres). Elle est de base en 120 (2014) mais je la réduirai à 100.
Salut Pierre,
Non, ça doit très bien passer en 100mm, les plongeurs de 32mm restent le standard pour les fourches dans ce débattement même s’il y a eu quelques gains de rigidité au niveau du châssis d’année en année.
J’avais usé ma Fox 32 29″ 120mm Performance en quelques mois.
Elle avait été réparée en garantie parce que le pivot craquait et qu’il y avait du jeu dans les bagues de guidages.
Je l’ai vendu moins de 200€ alors qu’elle était presque entièrement neuve. Les Fox ont eu mauvaises réputation pendant quelques temps à cause du CTD.
Salut Bronan,
Certains diront d’ailleurs que le problème des bagues de guidage court toujours chez Fox… Je crois qu’à l’époque il y avait aussi vaguement des problèmes de té qui se fissuraient et lâchaient.
Et oui, le CTD mal tuné Fox l’a traîné comme un boulet quelques années, et le fait que Rockshox refasse naître la Pike de ses cendres au même moment n’a vraiment pas aidé.
Et bah nous sommes en 2022, et mon zesty 314 de 2013 (le même que sur ta photo), équipé de sa fourche spaghetti (qui n’a d’ailleurs jamais été ouverte en 10 ans ), n’a pas démérité sur les pistes d’enduro de Loudenvielle cet été.
Mais promis, je l’apporterai en révision cet hiver, comme ça elle me durera 10 ans de plus.