Mon presque tour d’Emparis, une réflexion sur la vie depuis les steppes sub-arctiques
Souvent, nous mettons tout en oeuvre pour assurer la réussite d’une sortie. Parfois, le sort en décide autrement. C’est un peu la queue entre les jambes que je me lance dans le récit d’une rando qui traine au fond de ma boite à idées depuis deux ans et que j’espérais bien enfin boucler. Mais c’était sans compter les aléas de la vie.
Prologue
L’automne est une saison assez priviliégiée pour rouler. J’y faisais référence l’an dernier dans un article dithyrambique sur les 7 Laux : les températures baissent, les couleurs changent, l’ambiance évolue. Le rush de l’été derrière elle, la montagne se prépare à sa métamorphose hivernale en toute quiétude.
C’est la saison parfaite pour aller rouler Emparis, destination sommes toutes prisée durant l’été, notamment du fait de sa facilité d’accès, la piste permettant d’atteindre directement le parking aménagé sur le perron du plateau.
Notre aventure plus au nord par la tête du Vallon nous avait il y a deux ans laissés un peu sur notre faim, d’où mon actif militantisme pour organiser un vrai tour d’Emparis plutôt qu’un rapide coup d’oeil. Il aura fallu deux ans pour que les étoiles s’alignent entre intérêts communs et jours de congé disponibles, et qu’un élan d’enthousiasme nous emmène en semaine profiter des dernières journées de conditions roulables avant l’arrivée de la neige.
Acte I : Action
8h12. C’est avec une joie difficilement contenue que je sors de mon parking : le Lapierre noir et bleu qui a échappé à une retraite pourtant plus que méritée à la fin de la saison dernière semble toujours tenir en un seul morceau. Avec la sale habitude qu’ont les corps de roue libre à me rester dans les mains au moment du chargement dans le coffre, passer cette étape sans anicroche est une excellente nouvelle, et déjà une petite victoire.
Après avoir vu mes ardeurs tempérées par le flot d’écoliers bloquant la circulation pour se ruer tel un ruisseau de fourmis dans la cours de leur établissement avant l’heure fatidique, j’arrive sur notre lieu de rendez-vous avec quelques minutes de retard. Une fois mon fidèle destrier chargé sur le porte-vélo du Foz de Guigui (celui-là même qui nous emmène chaque année sur les routes du Queyras), nous voilà partis pour Besse, point de départ de l’excellente trace de référence sur laquelle nous avons statué.
10h03 : les roues tournent. C’est parti pour le premier volet de l’ascension, direction le Col St-Georges via la piste d’accès qui succède rapidemment au reste de route en lacets, trace dorée zigzaguant dans la montagne sous un soleil naissant qui remplace la bande de bitume jonchée de feuilles mortes s’agglutinant sur le bas-côté. Une fois sortis des limites de la végétation, on commence à en prendre plein les yeux, et la montée sur piste permet de réellement profiter du paysage tout en progressant.
S’il est possible de rouler uniquement côté plateau en montant directement au parking en voiture, cette première partie de l’ascension a l’avantage de faire gagner 700m de D+ de manière très confortable pour emprunter au retour l’excellent GR54 qui ramène sur Besse.
L’arrivée au col permet de souffler un peu, reprendre de l’énergie, et surtout une seconde claque visuelle. En face de nous, dans l’alignement du Rif Tort, on aperçoit au fond les Aiguilles d’Arves ainsi que le Pic du Mas de La Grave plus à gauche. Sur notre droite, le plateau est encadré de l’autre côté de la vallée par le glacier des Deux Alpes et la Meije qui nous fait déjà du pied un peu plus loin.
Je ne le sais pas encore, mais pour moi c’est le début de la fin. Je sais, c’est très mélodramatique comme assertion, mais il faut bien compenser la déception qui suivit par quelques emportements littéraires à la mesure des émotions ressenties en voyant les photos rapportées par mes compagnons d’aventure un peu plus tard.
Bref, ça faisait un moment que mon genou gauche m’embêtait. Débutant son oeuvre maléfique vers le milieu de l’ascension, la douleur restait sommes toutes assez contenue au pédalage, n’entrainant pas une inquiétude débordante sous mon casque. Tout changea après ce bref répit au Col St-George.
12h07. On s’engage sur le single qui forme dans un premier temps une micro-descente sur le plateau. Au premier appui, je sens mon genou crier au viol et tout devient beaucoup moins drôle. Alors que nous poursuivons sur le superbe chemin qui jouxte les méandres que dessine le Rif Tort dans les pelouses steppiques, les plans de secours se forment et se succèdent à la vitesse de l’éclair dans ma tête. Il s’agit bien de sauver ma sortie de l’année, le retour à notre point de départ n’étant pas un problème. La contrainte vient plutôt du profil en double pyramide de la trace : une première descente sur le Chazelet au bout du plateau précède une longue remontée se terminant par un portage sur 200m de D+, et l’idée de rester bloqué à mi-chemin n’est guère réjouissante.
Une remontée qui nécessite de pousser sur quelques mètres achève mes espoirs de poursuivre. Si le pédalage est tolérable, chaque pas vient un peu plus compromettre mon genou. La mort dans l’âme, je décide de laisser mes compagnons de route poursuivre sans moi et leur donne rendez-vous au chalet Josserand, point de départ de la descente finale via le GR54. En bons pharmaciens, François et Peggy font avant de me laisser partir un micro-diagnostique, puis après avoir avalé deux ibuprofènes et emprunté une genouillère nos routes se séparent.
En redescendant ce que l’on vient de monter, je sais que j’ai pris la bonne décision. Chaque appui sur le petit chemin d’alpage me rappelle à l’ordre, et à partir de maintenant la question qui va me trotter dans l’esprit est celle du retour sur Besse. J’ai déjà emprunté il y a deux ans le fameux GR54, et devoir redescendre via la piste alors que ce superbe sentier s’offre à moi serait l’apogée de la frustration.
Je me cale à l’abri du vent, quelques centaines de mètres au sud-est du chalet Josserand, face au plateau, pour la longue attente qui s’annonce. Il est 13h, et le groupe ne sera pas de retour avant au moins trois heures.
Acte II : Inaction
Le spot que j’ai trouvé est parfait pour faire la sieste. Sauf que ce n’est pas vraiment ce que j’avais prévu. En plus, je ne suis pas fatigué. Entre le début de la trace très optimisé et la période de repos que je me suis aménagé la veille pour justement être en pleine forme, ne pas pouvoir continuer est d’autant plus frustant. Après avoir somnolé pendant une demi-heure, le bal des pensées commence et j’aurai tout le temps nécessaire pour réfléchir au sens de la vie en admirant le paysage.
Mon dépit est d’autant plus grand que le VTT a toujours été une valeur sûre pour mes genoux grincheux. J’ai mis la randonnée à pied de côté à cause d’un syndrome de l’essuie-glace qui a fini par me faire redescendre de la croix de Belledonne au parking qui sert de point de départ pour monter au lac du Crozet en près de 7h, plus ou moins sur une jambe. J’ai connu quelques après-midi difficiles en fin de saison d’hiver quand j’enchainais les journées de snowboard au dénivelé négatif à cinq chiffres. Mais mis à part quelques alertes ponctuelles sur des week-ends aux enchainements de sorties avec portage, rien de dramatique à signaler sur deux roues.
Il faut bien avouer cependant que ma saison a été assez pauvre, comme en témoigne le compteur de mes compte-rendus cette année, bloqué jusqu’à aujourd’hui sur une valeur nulle. Plus encore que les étés précédents, mon moyen de transport favoris en montée a été le télésiège, et ma monture de choix en descente le gros vélo vert teuton. Faire tourner les jambes sur quelques sorties locales n’aurait peut-être pas été de trop.
Alors que je me perds en conjectures, le reste du groupe poursuit son bonhomme de chemin après le Col du Souchet pour atteindre le bout du plateau et entamer la descente en épingles sur le Chazelet après une pause repas, toujours sous le regard impassible de la Meije. Le contraste entre les couleurs des hauts sommets en été, de la végétation qui se pare de sa robe d’automne, et des neiges éternelles du glacier est saisissant.
De mon côté, c’est aussi le moment de porter un regard sur ma situation, qui probablement vous intéresse peu, et celle du site, qui potentiellement vous intéresse plus. Des tracas ponctuels, comme le dernier update de l’algorithme google qui entrainera certainement pour la première fois depuis les débuts de Glisse Alpine une croissance inférieure à trois chiffres en termes de visites, aux réflexions plus profondes comme le devenir de cette aventure débutée il y a deux ans et demi. L’idée qui me trotte dans la tête de basculer du côté obscur et adopter un VTTAE pour embarquer dans mes aventures un drone et de quoi me relancer dans les vidéos, facette totalement éclipsée ces dernières années dans le but de profiter de chaque instant, quitte à être un peu égoïste et publier comme l’hiver dernier des photos de pentes enneigées après 14h, tracées en long et en large par mes soins depuis 9h du matin.
Je ferai ici l’impasse sur mes vagabondes pensées qui s’entrechoquent sur le sujet de l’organisation de mes loisirs, des contraintes temps/travail et de la récupération. Pensées écourtées par un soleil déclinant et un vent se renforçant, rendant ma situation un peu plus inconfortable.
Je me lève, fais quelques pas pour tester mon genou, sans vraiment réussir à déterminer son état. L’idée de devoir redescendre par la piste fait son chemin.
Mes comparses continuent eux leur aventure sous des cieux plus cléments, mais tandis que je fais face à la fraicheur du vent d’ouest, ils transpirent à grosses gouttes pour s’extraire du fond de vallée via la piste qui mène à la Baraque de la Buffle. Après avoir refait le plein d’eau dans le torrent et ajouté un peu de micropur, ils repartent sur l’autre versant pour le portage final qui les ramènera sur le plateau en longeant le Rif Tort.
Acte III : Réaction
16h30. Je décide de revenir au chalet Josserand pour tenter d’apercevoir le reste du groupe quand il reviendra par le Rif Tort et me rapprocher du départ du GR54. Revenu au parking, je trouve refuge derrière des toilettes sèches aménagées qui me protègent du vent. Pas dedans, mais derrière, vu qu’elles sont… fermées.
C’est l’occasion pour moi de troquer mon T-shirt respirant pour une seconde peau à manches longues. J’ai également embarqué mon vieux masque de DH qui ne craint plus les rayures pour remédier au problème de l’air frais qui passe sous les lunettes à grande vitesse et vient jouer des tours aux porteurs de lentilles dont je fais partie à la mi-saison. Le MET Parachute s’y prête bien et j’évite l’écueil du look “enduro bro” outrancier. Surtout, le masque teinté jaune illumine le paysage d’automne et sublime les couleurs.
J’en profite pour lire les panneaux d’information et re-tester mon genou qui semble aller un chouilla mieux et n’a pas souffert du refroidissement. Je scrute régulièrement l’horizon à la recherche de mes partenaires jusqu’à ce qu’un point noir se dessine là-bas au fond. Refait à l’idée de mettre fin à cette interminable attente, je me pose à côté des ruines du chalet Josserand pour les accueillir.
J’échange un peu d’eau que j’avais prévu en larges quantités contre un bout de tome et de saucisson, rituel obligé pour chaque sortie en la compagnie de Guigui qu’un repas loin du groupe avait failli me faire manquer. On discute, on s’équipe, puis l’on s’engage sur le GR54. Je fais mes premiers tours de roue avec l’appréhension de devoir descendre au ralenti.
Les premiers mètres se passent bien, et l’on débouche vite dans le toboggan aux lignes multiples. Je suis Olive qui roule fluide pour profiter un maximum de la descente ; ça tombe bien, c’est aussi ce que je recherche. Mon appréhension se dissipe bien vite : la nature du terrain permet une descente tout en flow, sans gros appui, et la pente permet de rester assez bas sur le vélo. C’est parfait pour ma condition, et je pourrai ainsi profiter de cette descente d’anthologie que j’avais déjà décrite, photos à l’appui, dans ma première approche d’Emparis.
Déjà, je regrette de n’avoir harnaché ma caméra pour filmer cette section, pensant descendre la queue entre les jambes. Des épingles plus serrées succèdent aux grands virages et nous emmènent plus bas sur des tapis de feuilles jaunes illuminées par quelques rayons de soleil qui rasent les crêtes environnantes. Les rigoles creusées pour évacuer l’eau se sont bien arrondies en deux ans et ajoutent au fun du tracé. Le contraste entre la Fox 32 qui se tord dans tous les sens à chaque épingle et la Rux que je roulais en station les semaines précédentes est frappante, mais qu’à cela ne tienne, je prends quand même mon pied, trop content d’avoir un genou fonctionnel.
Puis c’est le retour à Besse par la route. Le sentiment d’avoir réalisé une sortie d’exception sans rien à jeter pour les uns, la déception contenue pour moi, dépité de n’avoir pu faire la boucle complète mais requinqué par une descente finale sur laquelle j’avais presque tiré un trait.
Epilogue
Après avoir embarqué quelques unes des fameuses tourtes de Besse puis trouvé un établissement permettant de consommer la sacro-sainte bière post-rando, le retour sur Grenoble dans la torpeur de la nuit s’avéra une excellente occasion pour refermer cette parenthèse vététèsque sur quelques dernières pensées.
L’une d’elle notamment : on ne peut pas toujours gagner. Avec le temps et l’expérience, nous aspirons sans cesse à plus, mieux. Plus loin, plus haut, plus beau. Nous apprenons à mettre toutes les chances de notre côté pour maximiser le potentiel d’une sortie : trouver la meilleure trace, partir le meilleur jour, avec le meilleur vélo. Poussés par les fabuleux récits, les affolantes images diffusés sur les réseaux sociaux, les forums ou les sites tels que Glisse Alpine, on en oublie presque que parfois notre expérience sur le terrain est bien loin de ces journées de rêve.
Parfois l’on s’engage sur un chemin qui paraissait parfait sur une carte mais ruine notre sortie. Parfois la météo vire au drame. Parfois la casse matérielle vient mettre un terme prématuré à un week-end ou à son compte en banque. Parfois même, c’est le gros bobo que l’on cherche tous à éviter. Il ne fait aucune doute que comme moi, vous retrouverez une ou plusieurs de vos expérienes dans cette description. Loin d’un microcosme qui ne nous montre que les succès et met les meilleurs moments en lumière sans presque jamais lever le voile sur les coups durs, il est parfois bon de regarder en arrière pour accepter les faits et relativiser un prix alors bien faible à payer : on ne peut pas toujours gagner.
En ce qui concerne la trace, vous l’aurez je pense compris à travers ce billet et les photos d’Olive : foncez, il n’y a rien à jeter.
Comme d’habitude, je vous encourage à suivre la page Facebook du site pour être tenu au courant de la publication des prochains billets relatant des sorties je l’espère un peu plus complètes pour ma part.
Les crédits photo pour toutes les superbes images de cet article vont à Hellzed.
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