VTT : de quoi dépend réellement la puissance d’une paire de freins ?
Je vous propose aujourd’hui de poursuivre la série amorcée sur le freinage VTT avec cet article pour geeks qui va nous plonger dans le fonctionnement un peu plus poussé de nos freins et les leviers (!) qui dictent la puissance qu’ils développent, ainsi que ce qui contraint cette dernière, chiffres à l’appui.
Bref, si vous vous êtes toujours demandé comment se conjuguaient taille et nombre de pistons, leviers, maître-cylindre ou plaquettes pour fournir plus ou moins de puissance de freinage, cet article est pour vous.
Effet de levier
Le premier des facteurs que nous allons voir est le design du levier. Avec un soupçon de physique/mécanique pour les nuls, on sait que plus l’on applique une force à une distance importante d’un axe, plus le couple sur celui-ci est important. On en a notamment parlé dans mon article sur les tailles de disques de freins, et vu le nombre d’axes et de vis à serrer ou desserrer sur un vélo, tout le monde ou presque a déjà le principe intégré dans les veines.
Suivant un principe similaire, un levier en appui permet de démultiplier l’effort. On va ici voir le levier le plus simple, celui de première classe, que l’on trouve sur les freins de type inline (le maître cylindre est plus ou moins dans l’axe du cintre) comme chez Shimano ou SRAM, où l’appui est situé entre les deux forces : celle exercée par notre doigt sur le levier de frein, et la résistance opposée à l’autre bout de la chaîne. On trouve toutefois des conceptions qui entrent dans la catégorie des leviers de deuxième classe, sur les modèles avec un maître-cylindre perpendiculaire au cintre, comme chez Magura ou les anciens modèles Formula par exemple, mais par soucis de simplification je vais ici me concentrer sur les premiers.
Sur un levier de première classe, la partie visible et actionnée par l’utilisateur est fixée à l’assemblage qui renferme le maître-cylindre par un axe (qui constitue l’appui), et à l’autre extrémité de ce levier est fixée la tige qui pousse le piston du maître-cylindre. En actionnant le levier, l’utilisateur pousse ainsi le piston dans le maître-cylindre, ce qui déplace le fluide hydraulique dans le circuit, et fait se rapprocher les pistons du disque côté étrier.
L’effet de levier de ce levier de frein dépend de deux longueurs : celle entre l’axe et notre doigt, et celle entre l’axe de le point de fixation de la tige du piston. Par exemple, pour un levier de 6cm (à nouveau la longueur totale du levier est accessoire et c’est le point où notre doigt exerce une force qu’il faut considérer) et une distance d’1cm entre l’axe et la tige du piston, le ratio est de 6:1, ce qui signifie que pour 5daN (bref, 5kg) de force exercée, on a 30daN (30kg) au niveau du piston.
Vous l’aurez compris, plus le levier de frein est long, plus cet avantage mécanique est important. De la même manière, réduire la distance entre l’axe et la tige du piston en gardant un levier de frein de la même longueur augmente l’avantage mécanique. Pour reprendre l’exemple précédent, si l’on divise par deux cette distance entre axe et tige du piston, notre ratio initial de 6:1 devient un ratio de 12:1, et nos 5daN de force exercée se transforment au niveau du piston en 60daN.
Obtenir des freins surpuissants ne dépendrait donc uniquement que de la longueur entre axe et tige du piston ?
“Obtenir des freins surpuissants ne dépendrait donc uniquement que de la longueur entre axe et tige du piston ?”
Pas vraiment, car ce faisant, on divise également par deux l’amplitude du mouvement. Etant donné que le piston du maître-cylindre doit être en mesure de pousser suffisamment de fluide dans le circuit pour que les pistons côté étrier entrent en contact avec le disque, il n’est pas possible d’avoir un ratio infiniment élevé en réduisant à l’extrême cette distance entre axe et tige du piston. Le corollaire à également garder en tête est que plus ce ratio est élevé, plus la force exercée par notre doigt est démultipliée, et plus la modulation de puissance demande tact et finesse.
Une des problématiques à résoudre est donc de pouvoir faire suffisamment avancer les pistons, ce qui pousse vers un ratio faible, et donc une démultiplication de puissance moindre, tout en conservant suffisamment de puissance, ce qui demande un ratio élevé. C’est là que se positionnent des technologies comme ServoWave chez Shimano ou SwingLink chez SRAM, en faisant évoluer ce ratio grâce à un design spécifique du levier qui peut passer par l’emploi d’une came. Avec un ratio plus faible en début de course, le mouvement est plus important et les pistons avancent davantage vers les plaquettes, ce qui permet de réduire la course de levier nécessaire pour arriver au point de contact. Puis le ratio augmente, ce qui permet d’augmenter l’effet de levier, et donc la démultiplication de force.
Toutefois, les plus attentifs d’entre vous auront remarqué que pour peu que mes exemples soient vaguement représentatifs de la vie réelle, avec des ratios autour de 6:1 et une force de 5daN sur le levier, se retrouver avec 30daN au niveau de l’étrier parait un peu faiblard pour arrêter un rider lambda ayant ingéré une raclette la veille au soir, d’autant plus, détail important, qu’elle eut été au lait cru, ce qui est fondamental. Observation tout à fait exacte, qui nous emmène sans transition à seconde partie de cet article.
Taille et nombre des pistons
En effet donc, l’effet de levier déployé en entrée du maître-cylindre n’est qu’une partie de l’histoire. Nous allons maintenant nous intéresser à ce qui se passe en entrée et en sortie du circuit hydraulique, entre le piston du maître-cylindre et ceux de l’étrier, afin de déployer une force correspondant à plusieurs centaines de kilos.
“On retourne à nouveau rapidement sur les bancs de l’école…”
On retourne à nouveau rapidement sur les bancs de l’école pour se souvenir du principe de Pascal et du théorème fondamental de l’hydrostatique (toussa toussa). Dans un système hydraulique, une force Fi appliquée sur une surface Si entraîne l’application d’une force Ff sur une surface Sf tel que Fi/Si = Ff/Sf, merci wikipedia.
Bref, dans notre système de frein hydraulique, et sans surprise pour personne, la force exercée au niveau du piston du maître cylindre est transmise aux pistons de l’étrier. Elle dépend toutefois de la surface du piston du maître-cylindre d’un côté, et de celle des pistons de l’étrier de l’autre. Il faut noter que pour les pistons qui s’opposent, on ne prend en compte que la surface d’un côté de l’étrier.
Dans un étrier classique à deux pistons (un de chaque côté), si la surface du piston est huit fois plus importante que celle du piston du maître-cylindre, on obtient ainsi un ratio de 8:1 entre la force à l’entrée du maître-cylindre, et celle en sortie au niveau de l’étrier. Cela nous mène en conservant toujours notre ratio de 6:1 au levier à un ratio effectif de 48:1 pour l’ensemble du système : si mon doigt génère 5daN ou 5Kg de force sur le levier, les pistons de l’étrier transmettent 240daN ou l’équivalent de 240Kg de force sur le disque.
On se rend compte via cet exemple de l’intérêt des systèmes quad-pistons, et de manière générale de celui d’augmenter leur nombre, sur le plan de la puissance développée par l’ensemble du système. Plus la surface combinée des pistons côté étrier est importante par rapport à celle du piston du maître-cylindre, plus le ratio global augmente.
“On ne peut donc pas automagiquement augmenter la puissance du système…”
Pourquoi alors ne pas simplement réduire la surface du piston côté maître-cylindre ? Comme pour le levier de frein, les éléments du système ne sont pas infiniment rigides, mais surtout, il y a ce petit détail semblable à celui évoqué pour le levier. Plus les pistons côté étrier ont une surface importante, plus le volume de fluide à déplacer est important. En effet, quand les pistons avancent, il faut bien que le liquide hydraulique comble le renfoncement dans lequel ils se rétractent. Et plus la surface du piston du maître-cylindre est faible, moins celui-ci déplace de fluide pour une avancée donnée, et plus il doit parcourir de distance.
A nouveau, on ne peut donc pas automagiquement augmenter la puissance du système en jouant uniquement et de manière démesurée sur le ratio entre entrée et sortie.
Voilà, vous savez donc comment la maigre pression de votre index sur le levier se transforme en plusieurs centaines de kilos de force sur le disque et pourquoi il ne suffit pas de rajouter des pistons ou revenir à des leviers plus longs pour obtenir des freins plus puissants.
Comme freiner fort n’est pas qu’une affaire de pincer les disques de manière virile avec ses grosses mimines, je vous propose maintenant de terminer cet article par un troisième volet qui nous permettra de calculer de bout en bout la puissance théorique d’une paire de freins.
Coefficient de frottement et taille de disque
Bien que situées au bout de la chaîne, les plaquettes jouent un rôle majeur, car de leurs performances dépend celle du système dans son ensemble. Une paire de freins au ratio démesuré peut offrir des performances réelles désastreuses avec de mauvaises plaquettes.
En effet, le mode de fonctionnement d’un frein à disque est finalement de générer une friction ou frottement sur le disque afin de ralentir ce dernier. Et comme vous le savez, on peut appuyer très fort sur une savonnette sans que ça ne l’empêche de glisser pour autant, comme quand vous perdez l’équilibre dans votre douche avant de vous assommer contre la baignoire. Bref.
“[Le coefficient de frottement] peut faire varier de 60% la puissance du système.”
On utilise pour mesurer cette propension à générer une force opposée au mouvement le coefficient de frottement ou coefficient de friction (que l’on retrouve noté µ, mais je vous en ferai majoritairement grâce dans cet article). Malgré mon exemple de la savonnette, le frottement généré dépend bien de la force exercée, multipliée par le coefficient de frottement. On peut donc exercer une grande force mais peu de frottement à cause d’un coefficient de frottement faible (la savonette, encore et toujours), ou une faible force mais beaucoup de frottement grâce à un coefficient important (comme quand votre doigt rencontre inopinément le bout de papier de verre grain 80 qui n’était censé poncer que le morceau de bois que vous teniez en main).
Alors qu’elle est facilement disponible dans le monde de l’auto ou de la moto, cette donnée semble bien compliquée à trouver côté vélo, mais la majorité des plaquettes semblent employer des garnitures dont le coefficient de frottement est compris entre 0.3 et 0.5. C’est une plage importante, puisqu’elle peut faire varier de 60% la puissance du système.
Pour terminer notre calcul, nous avons besoin de prendre en compte le diamètre du disque utilisé, point sur lequel je passerai rapidement puisqu’un article complet à récemment été dédié à leur choix : quelle taille de disque de frein VTT choisir.
Nous prendrons ici l’exemple d’un disque de 200mm, chaque saut de 20mm entrainant grosso-modo 10% de puissance en plus ou en moins.
“Nous pouvons donc enfin calculer les performances (très) théoriques de notre système.”
Grâce à toutes ces données, nous pouvons donc enfin calculer les performances (très) théoriques de notre système. Pour rappel, nos freins ont un ratio de 48:1 : nous appliquons 5daN de force au niveau du levier pour obtenir 240daN ou 2400N en sortie. Nous allons utiliser une moyenne pour nos plaquettes avec un coefficient de 0.4, et notre disque fait 200mm ou 0.2m de diamètre, soit un rayon de 0.1m.
La formule permettant de calculer la force de friction est F = µ.N. Pour calculer le couple de freinage, nous la multiplierons par le bras de levier par rapport à l’axe de la roue, qui correspond au rayon du disque. Pour une approximation un peu moins mauvaise, il faudrait substituer ce dernier par le centre de la piste, mais vu que cet article ne vise pas à vous envoyer en orbite (pour ça il y a le bike park d’en face), gardons les choses simples.
On se retrouve ainsi avec couple de freinage = µ.N.r, soit 0.4*2400*0.1, pour un résultat de 96Nm.
Cette valeur est dans une moyenne plutôt basse pour des freins double pistons modernes, mais n’oublions pas que le calcul est ici purement académique, bourré d’approximations, qui commencent dès la force appliquée sur le levier, qui va grandement varier selon que le doigt qui l’active appartienne à un enfant de cinq ans ou à ce bon vieux Hafthor des sommets. On remarque l’importance prépondérante des plaquettes, qui selon que l’on emploie un coefficient de friction de 0.3 ou 0.5 font varier le résultat de à 72 à 120Nm.
Ce qu’il faut retenir
Beaucoup de simplifications ont été faites dans cet article pour se concentrer sur l’essentiel, et tout ce qui tourne autour de l’entretien ou du rodage des disques et plaquettes par exemple a été laissé de côté. Je n’ai pas parlé de l’échauffement du système, de rigidité du levier ou d’expansion des durites (qui n’ont par ailleurs pas d’impact sur la puissance développée mais sont critiques au ressenti et à la modulation disponible), des diverses contraintes mécaniques ou encore de différents éléments de conception comme les avantages inhérents à utiliser quatre pistons au lieu de deux, voir des différents dessins de disques.
J’espère surtout que détailler chaque élément de la chaîne avec des exemples précis qui mesurent leur impact vous a permis d’y voir plus clair sur les grands principes au cœur de la performance de nos freins VTT.
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Merci, très bon article, simple et clair qui donne une vision accessible de la mécanique complexe qui conditionne le freinage.
Très bon article, merci.
Une toute petite précision cependant : ce qui freine le vélo sur la “piste” est en réalité le pneu et donc il ne sert à rien d’augmenter indéfiniment la puissance des freins quand on atteint celle des pneus. Ceci juste pour aller à l’encontre des intégristes de la recherche de puissance.
En réalité, quand on est sur niveau de puissance suffisant, le feeling (modulation) est bien plus important.
Salut,
Indéfiniment non, mais demander un certain de niveau de puissance est loin d’être un signe d’intégrisme ! Le hic c’est qu’aujourd’hui le contrat est loin d’être toujours rempli sur ce terrain, alors qu’il est extrêmement rare de tomber sur une paire de freins qui modulent si mal qu’ils en sont inutilisables.
D’ailleurs ces problèmes de puissance entraînent mécaniquement une modulation difficile, le dosage est plus facile quand tu peux le gérer finement du bout du doigt plutôt qu’en s’arc-boutant un peu plus ou un peu moins sur le levier. Bref c’est pas nouveau, j’ai toujours prêché pour des freins puissants qui demandent un minimum de doigté mais permettent une modulation bien plus précise grâce à l’utilisation de motricité fine.
Pour finir, ce niveau de puissance “optimal” dépend de beaucoup de facteurs : poids, technique, pneu ou terrain par exemple. Ce qui fait le job pour un rideur de 60kg en XC avec un pneu en 2.2 est totalement à la rue pour un autre de 100kg avec des boudins de 2.6 à gros crampons en gomme tendre et suffisamment de suspensions pour maximiser l’accroche.
Même en ayant déjà les connaissances relatives aux systèmes de freinage j’ai pris grand plaisir à (re) découvrir les ratios de leviers et toute la chaîne de transmission de la puissance de freinage. Bravo pour ce rappel des connaissances utiles afin de ne pas rouler idiot et mieux “sentir” la mécanique de son VTT.
il serait bon d’aborder l’effet fading et le recovering pour compléter l’article